Le 19 février 1238, Raymond Jean d’Albi témoigne devant les inquisiteurs de l’ Eglise  romaine : il arrive à Limoux, en comté du Razés avec le diacre cathare Guiraud de Gourdon et son socius.La date précise de leur séjour est impossible à déterminer.Peu soucieux des détails, Raymond Jean se contente de raconter que les trois hommes passent une nuit dans la cité limouxine, hébergés par deux peaussiers fidèles aux hérétiques. Au petit matin, les trois voyageurs reprennent la route pour se rendre à quelques lieues de là, dans le village de Pieusse, un petit castrum dominant la plaine de l’Aude.
PARFAIT CATHARE

Une journée particulière :
Raymond Jean apprend alors aux inquisiteurs que Guiraud de Gourdon y avait un  rendez-vous de la plus haute importance dans la maison des Bons Hommes du village. Ce que Raymond Jean est en passe de révéler aux inquisiteurs en 1238, soit treize ans après les faits, est à tout point de vue extraordinaire. Aujourd’hui encore et en l’absence de tout autre témoignage, il n’en reste que ce fragile écho.Plus d’une centaine de Bons Hommes venus bien entendu du Razés, mais aussi du Toulousain et de l’Albigeois, se sont réunis à Pieusse afin de débattre d’une question capitale pour l’organisation des Eglises cathares du Midi de la France. Ce qui se joue alors devant les yeux de Raymond Jean, pendant cette journée si particulière de 1225, ce n’est pas moins que la création d’une nouvelle Eglise cathare, avec son propre évêque et sa propre hiérarchie. Raymond Jean vient de nous apporter le récit de l’Eglise éphémère du Razés.

Une nouvelle Eglise sous influence
Depuis 1221 et grâce aux troupes du comte  Roger-Bernard de Foix, Limoux et Pieusse sont libérés du joug croisé.  Jusqu’à l’abandon de la Cité de carcassonne par Amaury de Montfort en janvier 1224, c’est tout le Razés, en quelque sorte uni aux côtés des des habitants de cette cité et de ce village fortifié, qui sert de tête de pont de la reconquête méridionale A Limoux, les fidèles de Raymond Trencavel, maître légitime du Razés, ont réinvesti la ville et la colline fortifiée du Pech, en surplomb de la partie de la cité installée dans la plaine .Aussi lorsque les Bons Hommes choisissent Pieusse pour y organiser une assemblée solennelle réunissant leurs plus prestigieux dignitaires, c’est un endroit des plus sûrs, fortement défendu par leurs partisans. Il s’agit de répondre à l’attente des chrétiens cathares du Razés. Ceux-ci déclarent ignorer s’ils dépendent des décisions de l’évêque cathare du Carcassés ou de celui du Toulousain. L’affaire est tranchée avec la création d’une nouvelle Eglise, celle du Razés. L’assemblée des Bons Hommes nomme Benoit de Termes à sa tête, un diacre de l’Eglise cathare du Carcassés déjà remarqué par ses compétences en théologie, membre éminent de la famille de Termes. Raymond Agulher, diacre du Sabarthès de 1216 à 1226 et membre de l’Eglise cathare du Toulousain, devient Fils Majeur, soit l’équivalent d’un évêque en second, enfin un certain Pierre Bernard est nommé Fils Mineur. En l’absence, supposée car le témoin ne l’évoque pas, de l’évêque cathare du Carcassès Pierre Isarn, c’est Guilhabert de Castres qui confère le consolament aux nouveaux dignitaires de l’Eglise du Razés. A Pieusse tout en reconnaissant pour la forme une autonomie à la nouvelle Eglise du Razès, il n’est pas impossible que Guilhabert de Castres profite de la circonstance pour étendre son influence sur cette région. La convocation d’un peu plus de cent Bons Hommes à Pieusse, démontre que malgré la Croisade, les communautés chrétiennes dissidentes du Languedoc sont loin d’être moribondes.
Selon toute vraisemblance, l’évêché réservé à Benoît de Termes devait comprendre, outre le Razés proprement dit, les territoires du Termenés, le Perapertusés, le Fenouillèdes, le pays de Sault, le Quercorb et une partie de la région de Mirepoix. Cette région connaissait une forte densité de Bons Hommes et de Bonnes Femmes. Sans doute aspiraient-ils à s’organiser au sein d’une Eglise indépendante. Malheureusement l’alliance du Lys et la Croix allait en décider autrement.
Le départ de la Croisade menée en personne par le roi de France Louis VIII, en juin 1226, allait changer la donne. La guerre de Limoux commence. Ses témoins s‘en souviendront trente plus tard comme d’une « dure guerre » ou d’une « grande guerre ».La population de Limoux, mais aussi de tout le Razés, fut « faidite et rebelle et fit grande guerre au roi ».L’Eglise Cathare du Razés, à peine née, tombait dans la clandestinité. La chute de Montségur, souhaitée par l’Archevêque de Narbonne, empêche tout espoir de voir se perpétuer l’Eglise du Razés.
Le dimanche 13 mars 1244, aux côtés de Bertrand Marty, l’évêque cathare du Toulousain, l’évêque du Razés donnait le consolament à tous ceux qui, réfugiés à ses côtés, allaient le suivre dans la mort, alors inéluctable, qui les attendait …
Au soir du 16 mars 1244, l’éphémère Eglise hérétique du Razés n’existait plus…
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La miniature ci-contre  représente le miracle du feu en 1207. Saint Dominique à gauche avec une auréole fait face aux champions des églises cathares du Toulousain et du Carcassès parmi lesquels se trouvaient Benoît de Termes. Les deux parties ont jeté au feu leur écrits. Le feu épargne le manuscrit du prédicateur catholique. (Psautier livre d’heure franciscain de la seconde moitié du XIIIe siècle. Bibl. de l’Arsenal, Paris, ms. 280, f° 31.)